« Tout ce qui est transmis dès leur plus jeune âge pose les fondations de leur curiosité et leur ouverture au monde »
26.09.2025

Comment les enseignant.e.s parviennent-ils/elles à mettre concrètement en œuvre l'éducation en vue d'un développement durable (EDD) dans leur enseignement ? Quelles sont leurs approches et méthodes, quels thèmes privilégient-ils/elles ? Et comment les élèves réagissent-ils/elles ? Nous avons posé ces questions à Carine Colletti, enseignante 1-2P et référente durabilité de l'Établissement primaire de Prélaz, Lausanne.
Où et comment intégrez-vous l'éducation en vue d’un développement durable (EDD) dans votre enseignement ?
Dans mon enseignement, je privilégie des thématiques en lien avec l’environnement proche des élèves. Cela leur permet de comprendre les interactions, de mesurer l’impact de leurs actions et de saisir concrètement les enjeux. Se sentir acteur.rice du changement est un moteur essentiel de la réussite des projets menés et permet de développer chez les jeunes enfants déjà une conscience citoyenne. Les lieux d’apprentissages sont nombreux dans une école et ses alentours, que cela soit dans la classe, le préau, le potager scolaire quand on en a un, le quartier, ou lors de nos journées en forêt. Chacun devient un terrain d’exploration propice à l’EDD.
Quelles sont vos sources d’information principales et de quel(s) type(s) de soutien concret auriez-vous le plus besoin pour faciliter cette intégration dans votre enseignement ?
Les sources d’information ne manquent pas. De nombreux sites proposent des animations ou des dossiers de qualité en lien avec la durabilité, comme celui d’éducation21 ou la plateforme « Ecole vaudoise durable ». Les publications de la Salamandre fournissent également des informations de qualité. Les partenariats avec les divers acteurs locaux permettent d’accéder à des informations et aboutissent à des collaborations riches et porteuses de sens, tout en valorisant les compétences et ressources de proximité.
On peut ainsi créer des réseaux de personnes ressources auprès de qui se tourner lors de projets. Et je reste persuadée qu’en mettant un nom, un visage derrière les personnes qui gravitent autour de l’école, on crée un lien entre elles et les élèves et on développe une meilleure prise en compte de leur rôle dans notre quotidien (équipe de nettoyage dans les écoles, jardiniers de la ville, …).
Mettre à l’horaire une période dévolue à la durabilité, comme pour les maths, le français, l’éducation physique, … et pas seulement demander « que le corps enseignant consacre certaines séquences à l’éducation à la durabilité, en cohérence avec les exigences du Plan d’études », légitimerait la mise en place de projets concrets et donnerait de la crédibilité et de la visibilité. Cela déchargerait les enseignant.e.s du stress des évaluations et du programme et donnerait une vraie crédibilité à cette thématique, qu’il devient urgent de traiter non pas comme une matière alibi, mais comme une priorité.
« Dans mon enseignement, je privilégie des thématiques en lien
avec l’environnement proche des élèves »
Quels thèmes intéressent particulièrement vos élèves ?
Pour intéresser véritablement les élèves et qu’ils puissent se sentir réellement acteurs de leurs apprentissages, je crois en la valeur des apprentissages inscrits dans une réelle proximité, d’autant plus lorsqu’ils sont jeunes (j’ai des élèves de 4 à 6 ans). Ils et elles doivent avoir l’opportunité de voir, expérimenter, toucher et constater l’impact de leurs actions.
Parler de la fonte des glaces et des ours polaires sans évoquer la hausse des températures dans leur préau ne fait pas sens pour eux. Et s’impliquer pour des causes lointaines n’est pas très valorisant si on ne peut pas constater soi-même l’impact de son engagement.
Et comment abordez-vous ces thèmes en général (approche, méthode) ?
Je pars d’observations faites aux alentours de l’école. On cherche par exemple à comprendre les interactions entre les différents usagers du préau : les corneilles qui vident les poubelles, l’excédent de déchets, les emballages, l’alimentation et les récréations, la place de chacun. Je privilégie une participation active des élèves dans les processus de réflexion. Par exemple, la problématique des déchets dans le préau qui attirent les corneilles, au détriment des autres oiseaux, ou de l’impact que cela représente pour les personnes chargées de nettoyer la cour mais aussi pour la faune. Je les invite à réfléchir à toutes les personnes impactées par une problématique et aux différentes façons de la résoudre.
Quelle importance revêt l'EDD pour vous personnellement en tant qu'enseignante ?
C’est pour moi un accès essentiel à une meilleure compréhension du monde qui nous entoure, mais en commençant à une petite échelle pour les enfants/élèves. D’abord comprendre les enjeux dans leur quartier, leur préau, leur classe, leur école. L’école est le point commun à toutes et à tous, c’est ce qui les relie. Un passage obligé, un peu en retrait des autres influences, au cours duquel on peut s’ouvrir à une autre manière de réfléchir ou d’agir. C’est un endroit où chacun.e peut accéder au même contenu, créer un socle commun, quelque chose qui les rassemble. Une forme de convergence de croyances diverses, de différents milieux familiaux pour pouvoir développer un sentiment d’appartenance à un groupe, à un système et par la suite ressentir le besoin, l’envie d’en prendre soin, de s’impliquer pour celui-ci.
« Pour intéresser véritablement les élèves et qu’ils puissent se sentir
réellement acteurs de leurs apprentissages »
Quelles sont les difficultés (et/ou satisfactions) que vous rencontrez lorsque vous abordez un thème EDD ou développez un projet EDD ?
Au sein de ma classe, avec des enfants en bas âge et la grande liberté pédagogique dont je jouis, j’ai toujours la satisfaction de voir que les élèves sont preneurs. Ils comprennent les enjeux et peuvent montrer un intérêt sincère au monde qui les entoure et à celles et ceux qui l’habitent, ainsi qu’une réelle capacité à s’engager si on les invite à le faire. Ils ont encore peu d’a priori et une grande ouverture. Leur imagination leur permet de se montrer créatifs dans la recherche de solutions.
Le degré dans lequel j’enseigne est également un réel atout pour l’enseignement de l’EDD, sans cloisonnement des matières et contrainte de l’horaire. Cela me laisse une grande liberté dans la façon d’aborder le thème ou le projet choisi et rend la dimension transversale de l’éducation à la durabilité évidente et aisée.
Vous êtes référente EDD dans votre établissement. Quel rôle jouent les collègues ou la direction de l'école dans la mise en œuvre de l'EDD ?
La mise en place de projets est étroitement liée au soutien de la direction. Impliquée et engagée, elle servira de catalyseur aux projets proposés et ceux-ci pourront être menés avec plus ou moins de liberté. Lorsque le Département de l’enseignement a demandé à tous les établissements scolaires vaudois de nommer un.e référent.e durabilité, l’accueil n’a pas été le même partout. Cette prise de fonction allait forcément générer des remises en question et des changements, ce qui n’est pas forcément reçu par toutes les directions de la même manière. Il en est de même pour les collègues. La résistance au changement est un des freins principaux à la mise en place de projets. Et entamer un processus de réflexion est déjà une prise de conscience.
« Les élèves comprennent les enjeux et peuvent montrer un intérêt sincère
au monde qui les entoure et à celles et ceux qui l’habitent,
ainsi qu’une réelle capacité à s’engager si on les invite à le faire. »
Quand vous pensez à vos élèves, quels types de compétences souhaiteriez-vous qu’ils/elles puissent développer à l’école pour affronter les défis de durabilité qui se présentent ?
Il me tient sincèrement à cœur de les voir garder ce sens de l’émerveillement pour les choses qui les entourent, cette ouverture d’esprit et cette absence de jugement de l’autre qu’ont la plupart du temps les enfants. Cela peut changer en grandissant mais tout ce qui est transmis dès leur plus jeune âge pose les fondations de leur curiosité et leur ouverture au monde, faisant d’eux des émissaires de choix auprès de leurs pairs. J’aimerais qu’ils prennent conscience des liens qui interagissent entre les êtres humains et leur environnement et qu’ils puissent, au fil du temps, élargir leur perception de tout ce qui les entoure et que cela les guide dans leurs décisions. Qu’ils développent un mode de pensée transposable au monde qui les entoure, en se sentant concernés, responsables et impliqués dans les choix qu’ils feront.